Les
autres me regardent, d’un air étrange, je perçois la crainte et
la peur dans leurs yeux, l’hostilité aussi. Les femelles
s’intercalent entre leurs petits et moi… Mais comment pourrais-je
leur faire du mal ? Ils sont miens pour la plupart …
Moi-même,
depuis l’attaque du Monstre lors de la Dernière pleine lune, me
sens différent, le suis en fait…Mes sens si affûtés s’émoussent,
je me fatigue vite, trop vite ; j’ai perdu mon agilité :
hier, en sautant un ruisseau, je me suis retrouvé la moitié du
corps dans l’eau, trempé, mais surtout ridiculisé devant les
autres ; j’aurais sauté une rivière il y a encore quelques
jours.
Si le Clan ne fait pas
montre de plus d’agressivité à mon égard, c’est parce que j’en
suis le chef…Sans cela, ils m’auraient déjà banni, ou pire
encore.
Leur chef, mais pour
combien de temps ? Si le vioque n’était pas là, plus d’un
aurait déjà tenté sa chance. Mais ils ne bougent pas, me laissent
tranquille sur les ordres tacites de celui que nous suivons
aveuglement, l’Esprit du clan, celui qui a vécu plus que nous tous
réunis.
J’ai froid sans être
malade, ne distingue plus que les ombres dans la nuit… Je change de
jour en jour, et pourtant ce n’est qu’un commencement… Je me
sens faible physiquement mais mon esprit, lui, s’éclaircit.
Le
Clan est officieusement dirigé maintenant par trois de mes plus
vaillants guerriers, mes fidèles lieutenants ; ils aimeraient
d’ailleurs outrepasser les conseils du vioque et me mettre à mort
sans procès, mais aucun n’ose se détacher du lot : Ils me
craignent…. Oh non, ils ne craignent pas celui qu’ils
connaissent, leur chef, respecté de tous, sortant toujours
victorieux des combats et ne fuyant jamais, même lorsque l’ennemi
était en surnombre… Non, ils craignent celui que je suis devenu,
celui qu’ils ne connaissent pas, et que je ne connais pas non plus.
Ma mise à l’écart du
Clan ne justifie pas mon état d’esprit : je suis emplis de
haine, de jalousie envers les autres qui n’ont pas changé, eux.
Submergé de désirs aussi, désirs inavouables, moi qui, de part mon
rang, ai eu toutes les femelles, me surprend à vouloir suivre les
plus jeunes, les plus frêles, celles encore non fécondes
lorsqu’elles s’éloignent du campement pour les prendre de force
et les égorger ensuite.
Cela
va faire un cycle de lune que la Bête a attaqué, surgie de nulle
part avec son bâton de feu, je me suis jeté sur elle pour protéger
les miens, avec juste les armes que m’avait données la nature,
pourtant je l’ai mise en fuite et n’était que légèrement
blessé … Mais hélas, nos sangs s’étaient mêlés.
C’est la pleine lune ce
soir, l’heure du procès a sonné, mais ici, pas de défense, pas
de plaidoirie… Silence… Ils m’observent, en cercle autour de
moi, attendent le signal. Le vioque savait, moi j’ai compris…Dès
que la pleine lune apparaîtra et que la transformation sera
accomplie, c’est la Bête qu’il mettront à mort, la Bête, si
dangereuse et si faible …
Moi, le puissant Loup
Alpha, chef incontesté de la meute, j’avais, en voulant la
protéger et en blessant ce chasseur, signé mon arrêt de mort,
j’étais devenu un Humain-Garou …